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Écrit par Michel B 02-04-2006

Tu as con­tem­plé émer­veil­lé le petit point bleu du test.
Et puis, quelques semaines plus tard, ta com­pagne ren­tre un soir, le vis­age bar­ré d’une inquié­tude. « Les nausées… » penses-tu. Mais, à peine ses affaires posées, elle met une main sur ton bras. Pour t’ar­rêter. Pour que tu l’écoutes.

– Je suis allée chez la gyné­co aujourd’hui…

Sa voix se fait hési­tante. Tu te tournes vers elle pour l’encourager.

– Hum… ça s’est bien passé?
– La vis­ite, y a pas eu de prob­lème. Mais, pen­dant que j’at­tendais dans la salle d’at­tente, je suis tombée sur un arti­cle dans un mag­a­zine pour femmes enceintes.
– Et…?

Tu ne com­prends pas très bien où elle veut en venir. Elle a tourné la tête. Les mots vien­nent buter sur ses lèvres:
– Il paraît que pour le pre­mier accouche­ment, on fait une épi­siotomie dans trois cas sur quatre.
– Une épi quoi ?
Ton regard éber­lué l’agace.
– Une épi-sio-to-mie, répond-elle en artic­u­lant chaque syllabe.
Le mot est inquié­tant. Un malaise t’en­vahit et tu ne peux t’empêcher de répli­quer d’un ton sec:

– Et c’est quoi une épisiotomie ?

Tu pos­es la ques­tion mais déjà tu sais la réponse effrayante :

– C’est quand on coupe la vul­ve et les mus­cles du périnée pour per­me­t­tre au bébé de sor­tir sans faire une énorme déchirure.

A ses mots, un fris­son te tra­verse. L’image affreuse d’une entaille béante envahit ton cerveau. Sans savoir pourquoi tu repens­es au film « Les dents de la mer ». Incapable de sup­port­er ces visions cauchemardesques, tu minimises:

– Ah bon. Tu sais, ils racon­tent n’im­porte quoi dans ces revues.
– Non, non !

Ta com­pagne s’im­pa­tiente. Elle insiste :

– L’article cite des chiffres du min­istère de la san­té. C’est pas des conneries !
– Mais c’est peut-être mieux d’avoir une petite coupure qu’une grosse déchirure. Après tout, c’est pas si grave que ça une petite coupure.

Malgré sa détresse, son regard te lance des éclairs.

– Ah oui, pas si grave! Imagine que l’on te fende le gland d’un coup de bistouri !

Tu avales pénible­ment ta salive. Te sen­tant coupable (!), tu fais marche arrière :

– Oui mais, quand même les médecins savent ce qu’ils font, non?
– …

STOP !

A ce stade de la con­ver­sa­tion, tu es en train de chercher tous les argu­ments pos­si­bles pour repouss­er la ques­tion angois­sante que vient de te pos­er ta com­pagne. Lâchement, tu auras eu recours à la rai­son sci­en­tifique (les médecins savent ce qu’ils font), à la méth­ode Coué (mais c’est pas si grave que ça), à l’aveu de ton impuis­sance (qu’est-ce que tu veux que j’y fasse !) voire à des répliques peu hon­nêtes (ah ben puisque c’est comme ça, t’as qu’à accouch­er à la mai­son ! ou Tu sais, un accouche­ment ça n’a jamais été une par­tie de plaisir!).

Et pour­tant, dès l’in­stant où elle a soulevé la ques­tion de l’épi­siotomie jusqu’à la nais­sance de votre bébé, il y a deux vérités qu’il ne fau­dra jamais remet­tre en cause :

C’est un fait établi et recon­nu – y com­pris par les obstétriciens – qu’il se pra­tique en France trop d’épi­siotomies. En out­re, il n’est pas démon­tré qu’une épi­siotomie ait moins d’in­con­vénients qu’une déchirure, notam­ment en terme de cicatrisation.
Cette ques­tion de l’épi­siotomie te con­cerne toi autant que ta com­pagne. Vous avez décidé ensem­ble de faire un bébé, il vous fau­dra vous bat­tre ensem­ble. D’autant plus qu’au moment fatidique, elle n’au­ra que toi sur qui compter pour défendre son périnée.

Alors ce sera à toi de par­tir à la pêche d’in­for­ma­tions sur le web, de te plonger dans divers­es pub­li­ca­tions sci­en­tifiques, de lire les témoignages des unes et des autres. N’hésite pas à t’in­scrire sur les forum idoines, à y apporter tes ques­tions, tes doutes. Et partage toutes ces infor­ma­tions avec ta com­pagne au fur et à mesure que vous progresserez.

Alors que la grossesse est un moment que l’on voudrait unique­ment empreint de douceur, cette accu­mu­la­tion d’in­fos, de réc­its, de pub­li­ca­tions te ren­ver­ra jour après jour l’im­age affreuse d’un sexe que l’on coupe. C’est une bonne rai­son pour que ce soit toi qui te plonge dans ces lec­tures: ce n’est pas ta chair qui est menacée !

Puis vous vous attellerez à la rédac­tion d’un pro­jet de nais­sance. Un pro­jet de nais­sance ne par­le pas que d’épi­siotomie. Mais vous y men­tion­nerez très claire­ment le refus de cette pra­tique et surtout la demande indis­pens­able que rien ne soit fait sans votre con­sen­te­ment. Là encore n’hésitez pas à rechercher de l’aide pour rédi­ger votre projet.

Ensuite, lors de vos ren­con­tres avec le per­son­nel médi­cal de la mater­nité, il vous fau­dra par­ler de ce pro­jet de nais­sance, expos­er avec calme mais aus­si pré­ci­sion vos raisons du refus de l’épi­siotomie. Rien ne garantie l’ac­cueil qui vous sera fait. Au cours de ces entre­tiens, vous abor­derez mille et uns sujets touchant à l’ac­couche­ment. Si c’est ta com­pagne qui abor­de la sujet de l’épi­siotomie, la sage-femme trait­era cette ques­tion comme une peur – avec des mots ras­sur­ants, comme ceux que l’on dit aux enfants avant un vac­cin. Ce sera donc à toi de pos­er le prob­lème. Pour que la dis­cus­sion devi­enne un débat voire une négociation.

Inévitablement vien­dra le rendez-vous avec l’obstétricien(ne). Pas d’il­lu­sion. Ça ne sera pas facile ! La puis­sance médi­cale n’aime pas sou­vent être remise en cause. Du haut de son expéri­ence et de son savoir, il vous dira priv­ilégi­er la san­té de l’en­fant plutôt que le vécu de la mère (!)… Et si tu insistes, il n’hésit­era pas à con­vo­quer la ter­ri­ble image des périnées éclatés pour te con­va­in­cre du bien­fait de son inter­ven­tion. Certes, il a rai­son pour cer­tains cas où l’épi­siotomie représente un moin­dre mal. Mas pas dans 71% des accouche­ments de primipares !

La con­clu­sion de l’en­tre­tien est claire : si l’ob­stétricien inter­vient, c’est l’épi­sio à tous les coups.

Il vous fau­dra ser­rer les dents en vous rac­crochant à ces quelques chiffres ras­sur­ants: sept accouche­ments sur dix sont faits par les sage-femmes. Reste les cas de césari­enne (2/10) pour lesquels on ne par­le pas d’épi­sio. Il n’y a donc qu’un risque sur dix.

Courage…!

Au jour J, ce sera à toi de veiller. A l’ar­rivée à la mater­nité, quand une pre­mière sage femme vous pren­dra en charge, tu lui deman­deras si elle a eu le temps de lire votre pro­jet de nais­sance. Si ce n’est pas le cas, il fau­dra lui rap­pel­er calme­ment que vous ne voulez pas d’épi­siotomie. Au change­ment d’équipe, une nou­velle sage-femme arrivera. De nou­veau, tu lui poseras la ques­tion. Et ain­si de suite.

Bien sûr rien n’est gag­né d’avance,

Rien ne dit que vous réus­sirez à éviter l’épisio,

Mais ça vaut le coup de se battre

A deux.

Le 31 jan­vi­er 2006

« Ma com­pagne a accouché le 19 jan­vi­er à 9h05 d’une petite fille qui se prénomme Orane. L’accouchement s’est bien passé et nous avons eu la chance qu’il soit pra­tiqué par une sage-femme à l’é­coute de nos deman­des. En temps nor­mal, elle aurait pra­tiqué une épi­siotomie. Mais elle a pris plus de temps, pour favoris­er la dilata­tion. Et elle l’a fait en dépit du stress lié à cette sit­u­a­tion inhab­ituelle pour elle. Il y a une déchirure, sans grav­ité et dix jours après, la cica­tri­sa­tion est en bonne voie.

Nous avons eu rai­son de nous battre »

Michel BOUY